Tome 1 : La Nef Céleste
J’ai acquis ce livre aux Imaginales, suite à une conférence dans laquelle intervenait Alexis Flamand, sur le thème de l’humour dans la littérature de l’imaginaire. C’est un premier tome d’une trilogie éditée par Leha, reprenant l’intégrale des 5 différents tomes déjà parus précédemment aux éditions de L’Homme Sans Nom. Les deux autres tomes sont déjà édités, on peut donc enchaîner si on veut dès qu’un livre est terminé sans avoir à attendre des années, c’est toujours un bon point. L’illustration de couverture est très belle comme sur les autres livres de cet éditeur, elle représente la cité de Ker Fresnel.
L’amorce du roman sort déjà largement du cadre habituel d’un livre de fantasy : un mage enquêteur du royaume de Mehnzota, Jonas Alamander, se voit dans l’obligation de quitter sa maison suite à l’ordre de destruction de celle-ci par le royaume voisin de Kung-Bohr, qui vient d’acquérir la parcelle sur laquelle elle se trouve, mais notre bon mage souhaite porter réclamation pour faire annuler la procédure… Il se retrouve donc embarqué dans un voyage qui va le conduire dans la capitale du royaume de Kung-Bohr, Ker Fresnel, en compagnie de son animaldémon de compagnie nommé Retzel. Après un voyage mouvementé à dos de créatures que n’aurait pas reniées Lovecraft, Alamander se trouve dans la capitale pour enquêter sur un assassinat des plus étranges, assassinat dont les visées remontent jusqu’au plus haut de l’état et sur l’origine même de la cité. Voilà pour l’amorce.
En parallèle de cette histoire, on suit tous les 2 ou 3 chapitres la création d’une guilde / école d’assassins implacables, les Tsangs, par un jeune fils de paysans du nom de Maek. On se demande d’abord le lien, puis vite on comprend que les 2 histoires seront liées à plus ou moins longue échéance, bien que se déroulant géographiquement pas du tout au même endroit et que la fondation de l’école a lieu 1.000 ans avant les aventures d’Alamander.
Ce qui marque immédiatement en lisant ce livre, c’est son ton général décalé, son second (voire troisième ou quatrième, et plus si affinité…) ton avec lequel chaque chapitre, scène, personnage est abordé ou traité. Tout est sujet à un délire ou à une mise en scène qui serait absurde dans n’importe quelle autre œuvre, mais l’auteur arrive à faire tenir l’ensemble dans une cohérence, au point que l’on se prend à imaginer qu’une telle construction puisse exister. Un des thèmes les plus moqués dans le livre est la bureaucratie, autant du point de vue de sa complexité ou de son inertie, mais cela ne semble pas choquer grand monde dans ce monde. Ce mélange de fantasy et d’humour a souvent du mal à prendre, j’avoue ne pas être un fan de Pratchett malgré de nombreux essais infructueux, mais dans ce roman l’humour se fait autant de manière délibérément débile que subtile, en faisant appel à la culture du lecteur, et j’adore cela ! Les références sont à dénicher à chaque morceau de page, et j’imagine en avoir loupé pas mal, mais celles que j’ai trouvé après réflexion (lire certain nom à voix haute peut aider aussi) m’ont donné l’impression que l’auteur et moi pouvions avoir une certain connivence. On voit très souvent des références à la science (Bohr, Fresnel pour les plus évidentes dans les noms) au travers d’éléments de botanique, de géologie. Pour le scientifique et agronome de formation que je suis, j’ai apprécié de nombreux développements sur les massifs de champignons ou les étages géologiques de Ker Fresnel.
Au niveau des personnages, Alexis Flamand a créé une belle galerie de héros, ou plus d’anti-héros, et de personnages secondaires très fouillés. Alamander est très crédible dans le rôle d’enquêteur casanier-timide-crédule-efficace, mais néanmoins dépassé la plupart du temps par les enjeux et les événements, il devient vite très attachant et on sent que l’auteur a mis beaucoup de lui dans ce personnage. Son alliée féminime Rachel est sur le registre de la femme aguicheuse, compétente mais toujours très énigmatique. Le soldat Edrick qui accompagne Alamander partout (au grade très fluctuant dans le livre selon ses réussites et échecs) est aussi sympathique, mais un peu plus lisse. Quant au souverain, Ernst XXX, on l’imagine bien en PDG de grosse boite du cac40 pour son côté calculateur froid et à la limite de la méprise de ses sujets, pour rester poli ! Enfin, les 2 personnages aussi énigmatiques que mauvais du livre (les deux membres de l’école T’Sank) brillent par leur logique toute inhumaine et leur art de donner la mort.
L’écologie du monde d’Alamander est assez originale, avec des grosses créatures poulpiques, des épis de céréales aussi appétissants que dangereux, ses formations fongiques, sa géologie tourmentée par les dieux… On découvre tout cela au fur et à mesure, mais c’est très dépaysant et toujours présenté avec un humour certain.
La magie dans Alamander est très particulière, et en fait double. La magie Menzothienne d’abord : toute manifestation magique va se faire via des formes et lignes que l’on va tisser pour faire apparaître les choses, modifier leur propriétés, de manière presque biologique… Chaque intervention magique étant ensuite visible pour qui a la bonne vision. La magie YArkhanie, celle d’un autre royaume rival de Kung-Bohr, ressemble plus à des suites d’instructions logiques, plus informatique, mais peut-être plus puissante et implacable que celle de Menzotha. Les mages sont des personnes puissantes et craintes au point d’être exclues de certains royaumes. Le système de magie Menzothienne m’a fait penser à celui du roman Des Sorciers et des Hommes de Thomas Geha.
Ce premier tome de la trilogie d’Alamander est un roman qui a de nombreux atouts pour lui, mais il peut être difficile à cataloguer. Pour moi il s’adresse avant tout aux lecteurs qui ont pas mal de bouteille, car il en faut pour ne pas louper trop de références et jeux de mots débiles/subtils/à tiroir (selon le cas). On peut aussi le lire sans grande culture livresque (ou même générale), je pense que cela sera un bon divertissement. Il est très rafraîchissant du fait de ses personnages mais aussi des situations qu’il met en oeuvre, plus que par la trame générale que l’on voit venir dans les grandes lignes. Une véritable réussite dans la fantasy humoristique, genre difficile (peut-on rire de tout ? de quelle manière ? et avec qui ?). Je lirai la suite avec grand plaisir !
Autres avis: FeydRautha,
voir aussi: interview de l’auteur chez FeydRautha
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