Tome 1 : La Nef Céleste
JJ & The Acoustic Machine – The City Loves You
J’ai envie de faire cette chronique depuis début avril. J’en ai créé le brouillon, j’y ai réfléchi, maintes et maintes fois ; puis les aléas de la vie et les imprévus de mes projets naissants m’ont empêché de mener l’idée à bien. Mais franchement, je trouve qu’il est bien temps de rendre justice à une jolie histoire, et au bouquin qui l’a provoquée. Parce qu’au delà de l’ouvrage lui-même, j’ai envie de rendre hommage à son auteur, et à l’histoire qui nous a fait nous rencontrer. Elle vaut le coup en elle-même.
Tout commence aux Imaginales 2018, ce qui est, vous en conviendrez, un excellent début. Je patiente pour l’arrivée de Lionel Davoust sous la Bulle des Livres, j’ai un bouquin à lui faire dédicacer (oui, j’étais déjà fan). Sauf qu’il n’est pas encore là. Non loin de la place qu’il occupera quelques minutes plus tard, un étrange énergumène, exsudant la sympathie et la joie de vivre par tous les pores de sa peau, attend de faire dédicacer ses propres romans. J’ai déjà entendu parler de lui. Un ami à moi s’est intéressé à son premier tome et y a trouvé une fantasy burlesque, un style humoristique, qui lui ont fait songer à Terry Pratchett, il s’est dit que ça me plairait sans doute. Et voilà qu’en y jetant un œil curieux, notamment émerveillé par le travail d’illustration de Marc Simonetti, j’ai attiré l’attention de cet étrange énergumène, qui a compris ce que je faisais là. Nullement vexé, il se met au contraire à me faire un article enthousiaste sur son travail, lançant une discussion qui durera bien une dizaine de minutes, comparant avec prudence, mais sans fausse modestie, son style et ses ambitions à celle du maître britannique, la comparaison n’étant pas neuve à ses oreilles. Autant dire que ma curiosité était piquée au vif. Ma compagne de l’époque (je la salue chaleureusement), devant mon sourire conquis par la verve et la sympathie de l’énergumène et la drôlerie de nos échanges, se décide à m’offrir le premier tome de la trilogie d’Alamänder, histoire que je découvre, et que je mette les promesses formulées à l’épreuve de ma lecture. En sortira une dédicace cultissime (en attendant les suivantes), une de celles qu’on relit de temps en temps, pour le plaisir du souvenir de la rencontre autant que celle de la lecture. Je l’ai lu très vite, parce qu’il fallait que je sois fixé. Pouvais-je enfin trouver un.e auteurice capable de rivaliser en éclats de rires avec mon sacro-saint Terry Pratchett, sans pour autant se départir d’une réelle capacité satirique, d’une intrigue puissante et de personnages complets ? Car telle était la promesse qui m’avait été faite, tout de même.
Verdict ?
Oui. Oulah. Oh que oui.
Jonas Alamänder est un détective privé, utilisant ses talents de mage pour mener à bien ses enquêtes. Il est du jour au lendemain contraint de quitter son domicile pour contester de son expropriation, due à l’annexion d’un tout petit bout de territoire dans lequel il a la malchance de se trouver. Il se rend donc à la capitale du royaume dont il est un tout nouveau sujet pour essayer d’y plaider sa cause, et se retrouve à devoir résoudre un meurtre afin de pouvoir voir sa requête aboutir. Autant dire que ce n’est là que le début de ses soucis.
Par où commencer pour exprimer la surprise totale qui a été la mienne à la lecture de ce premier tome du cycle d’Alamänder ? Peut-être par la meilleure surprises de toutes, celle qui malgré mes meilleurs efforts, m’a marqué plus que le reste. Il faut savoir qu’en tant que lecteur, je n’ai pas le rire facile. Je peux sourire, saluer une saillie ou une fulgurance d’un hochement de tête, mais je ne ris que relativement rarement ; et les auteurices m’ayant offert ce plaisir sont rares, surtout de façon régulière. Et si j’ai pu rendre hommage au talent de Terry Pratchett dans ce domaine, il faut bien que j’appuie celui au talent humoristique d’Alexis Flamand. Les trouvailles sont incessantes, l’originalité complète, les dialogues des bonheurs sans fin, remplis à ras-bord de répliques puissantes et d’images inventives et surprenantes, à l’instar des situations rapportées, parvenant à toujours être au service de l’intrigue et des personnages. On notera également un usage brillant et original de l’humour méta, qui utilise l’objet livre comme un support de blagues, sans jamais trop en faire ou rompre réellement l’illusion, mais impliquant l’attention des lecteurices d’une façon que je n’avais jamais croisée auparavant.
Il faut je crois ensuite aborder la question épineuse mais inévitable de la comparaison. Quand on écrit de la fantasy humoristique, on prend le risque de souffrir du parallèle avec Terry Pratchett, forcément, surtout quand on s’adresse à des fans des Annales qui rechercheraient comme moi des émotions similaires. Lors de notre discussion, nous avons eu l’occasion de parler cet aspect de la question, et j’avais été rendu très curieux par sa façon de considérer les choses ; voyant d’abord dans son travail de la fantasy qui s’avérait être drôle, mais dont l’humour n’était pas la raison première, contrairement aux Annales du Disque-Monde, plutôt des œuvres humoristiques se déroulant dans un contexte de fantasy. Ayant été convaincu depuis longtemps par les qualités satiriques de la saga Pratchetienne, j’étais dubitatif. Mais force est de reconnaître qu’Alexis Flamand n’avait pas menti. Son oeuvre a la force d’âme et la puissance narrative suffisante pour complètement se détacher de ce que certain.e.s – comme moi, je le confesse – pourraient considérer comme son aîné. Et surtout, il faut bien considérer que cette filiation n’a pas vraiment lieu d’être considérée comme un enjeu réel dans le jugement de la qualité de son travail, c’est pourquoi je m’en abstiendrai à l’avenir.
Car la plus grande qualité, entre toutes, d’Alexis Flamand, est celle d’invention. L’invention littéraire la plus puissante de toutes et la plus impressionnante, celle consistant à créer à partir de rien une réalité qui échappe complètement à nos règles habituelles sans briser la suspension de l’incrédulité, au sein d’une cohérence totalement neuve. Et l’exploit est double, puisqu’il allie la créativité de l’univers avec une intrigue politico-policière de haute volée ; les deux aspects se nourrissant mutuellement tout le long du roman. Le Monde d’Alamänder fourmille de trouvailles et d’inventions uniques qui justifient à merveille tous les débordements de l’intrigue, dont on pourrait croire qu’elles n’ont aucun autre sens que le plaisir de la transgression ; mais non, elles se tiennent toutes à la perfection. Alexis Flamand fait en fait preuve d’une logique implacable, tout en poussant la moindre de ses idées à fond, dans les concepts comme dans leurs exécutions et les conséquences qui en découlent ; et c’est sans doute ce jusqu’au-boutisme qui crée à mon goût ce que j’aimerais qualifier de génie, tant comique que littéraire. Rien n’est laissé au hasard, tout est préparé et on sent bien la volonté d’un orfèvre exigeant, exécutant son plan avec minutie, prouvant sa maîtrise des mécaniques de la narration et de l’humour.
La Porte des Abysses est le genre de roman que j’ai du mal à chroniquer, finalement, parce que je ne veux rien en dévoiler du plus que ses qualités générales. Je pourrais creuser le profil d’Ernst XXX, roi de Kung-Bohr, génie politique absolu, de Retzel, démon familier insupportable (mais si drôle) de Jonas, ou bien même ce dernier, sympathique détective à la seule ambition de vivre tranquillement sans devoir être impliqué dans des choses qui le dépassent. Sans succès évidemment, sinon on n’aurait pas de roman à lire, et ce serait quand même dommage. Les personnages comme les situations s’enchaînent à un excellent rythme, entre découvertes, exposition, dialogues ciselés, éclats de rire et avancées de l’intrigue, se permettant le luxe d’écorner certains travers humains, comme la lenteur de la bureaucratie et son pouvoir coercitif (au hasard). Autant d’éléments dont, du coup, j’ai envie de laisser l’entière primeur à cielles qui aimeraient le découvrir comme j’ai pu le découvrir, en me laissant surprendre un maximum ; même s’il me faut être lucide et bien considérer que malgré mon enthousiasme, ce roman n’est pas pour tout le monde.
Pas tant une faute que simplement un style et une narration singulières, confinant volontiers à l’absurde et parfois à une certaine légèreté qui pourrait jurer avec la gravité des enjeux. Si personnellement, je trouve que ce cocktail participe du charme d’Alexis Flamand et de ses personnages, d’autres pourraient sans doute y trouver des dissonances rendant sa lecture moins agréable. Vous voilà prevenu.e.s.
Reste que cette trilogie comme son auteur sont dès lors devenu.e.s cultes dans ma bibliothèque personnelle et m’auront fait attendre les Imaginales suivantes avec une impatience encore croissante, pour avoir le plaisir d’y faire dédicacer le troisième tome sur place (j’avais dévoré le deuxième dans la foulée). Plaisir suprême, une longue et passionnante discussion sur ses ambitions d’auteurs et ses projets, qui l’amèneront à me dédicacer mon troisième tome de façon absolument unique, avec des annotations tout le long du roman, vannes supplémentaires et une adresse mail pour pouvoir continuer la discussion une fois le dernier roman de la trilogie achevée. Autant dire que j’étais aux anges, et que je le suis encore, rien que d’y penser. Au delà de la véritable qualité des romans, le plaisir de nos échanges et des souvenirs qui en découlent participe de mon envie de partage. Parce que je voudrais que tout le monde puisse vivre ce genre de moments, où le plaisir de la lecture est magnifié par celui d’une rencontre et des rapports humains qui en naissent.
Lisez Alexis Flamand, et essayez de discuter un peu avec lui, à l’occasion, vous n’aurez, normalement, que peu de raisons de le regretter.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
Laird Fumble - Lien vers l'article